Interview tirée du journal de l’AIST – printemps 25 – direction Bernard Bouheret
https://drive.google.com/file/d/1FZCwn5QrB2kjyFqlbbeBM9NKe3N6kpCH/view
Brève histoire de la Réflexologie plantaire
« Qui de la poule ou de l’œuf est arrivé en premier ? » Les ouvrages sur le sujet affirment souvent que la Réflexologie plantaire a émergé en Occident sans lien avec des traditions orientales – une thèse que l’on peut discuter. Mais au-delà de cette question, l’essentiel est de voir comment l’Occident et l’Orient peuvent se nourrir mutuellement pour rendre le « soin de l’autre » plus efficace.
La Réflexologie plantaire en Occident
La Réflexologie est devenue populaire dans les cultures occidentales au cours du siècle dernier, en grande partie grâce aux efforts de deux personnes. En 1902, le docteur Fitzgerald, médecin à l’hôpital de Boston, a émis l’hypothèse que dix lignes verticales ou zones traversent le corps, de la tête aux pieds. Il a inventé le terme « thérapie de zone » après avoir théorisé que tous les organes d’une zone sont affectés par le travail de n’importe quelle partie réflexe de cette zone. Le Dr Fitzgerald a détaillé ses découvertes dans un livre écrit en 1917, dans lequel il a utilisé principalement les mains de ses patients comme outils de stimulation viscérale.
Après avoir lu le livre du Dr Fitzgerald, une jeune thérapeute nommée Eunice Ingham est devenue obsédée par la théorie des zones. Au début des années 1930, elle décide d’étudier la question. Ingham se dit que si le Dr Fitzgerald obtenait de si bons résultats en utilisant uniquement les mains des patients, quel genre de résultats pourrait-elle obtenir en utilisant les pieds ? Les pieds, qui sont la partie la plus sensible du corps, comptent plus de 7 000 terminaisons nerveuses. Ingham a tracé les grandes lignes de ce que l’on appelle aujourd’hui la méthode originale de Réflexologie Ingham®, qui est la méthode la plus répandue à l’heure actuelle.
La Réflexologie plantaire en Orient
Le courant scientifique développé par les médecins occidentaux aux 19e et 20e siècles autour de la Réflexologie plantaire aurait donc émergé indépendamment d’une inspiration des méthodes venant de l’Orient.
En Chine, une forme de Réflexologie aurait pris naissance, il y a 4 000 ans, sous l’Empereur Hwang, dans le cadre de la pratique de l’acupuncture et de la moxibustion.
On retrouve des traces de la méthode datées de la période Han (206 av. J.-C. – 220 ap. J.-C.) avec un médecin nommé Hwa Tua, qui a appelé son travail « Hua Tus Mi Ji » ou « Le tao du centre du pied ». Plus tard, sous la dynastie Tang (618-907 ap. J.-C.), un moine japonais nommé Tai Tien Chic Shao aurait étudié la pratique de la Réflexologie avant de l’introduire au Japon.
C’est pourtant la Réflexologie plantaire occidentale qui s’est introduite aujourd’hui en Chine et au Japon ! Bien évidemment, et sans avoir le temps d’aborder un panorama complet de l’histoire de la Réflexologie, d’autres pratiques orientales mériteraient qu’on s’y arrête : celles des styles ayurvédiques, thaïlandais, vietnamiens… Toutes proposent des approches singulières et originales, mais restons sur celle qui revêt un intérêt majeur pour nous : la Réflexologie plantaire de style japonais.
« La Réflexologie plantaire des Empereurs » : l’approche japonaise
Kazumichi Shibata Sensei, acupuncteur et thérapeute japonais, a commencé à diffuser ses enseignements sur le SOKUSHINDO en 1929. Littéralement, SOKU-SHIN-DO est un mot composé de trois termes : Soku signifie « pied», Shin « cœur » et Do « voie », donc « Le voie de l’Esprit du pied».
Maître Shibata a publié en 1945 plusieurs ouvrages sur le diagnostic et le traitement des maladies par le Sokushindo. Cette technique manuelle est basée sur les fondements de la médecine orientale, les méridiens et l’Anma. Nous ne saurions rien de cette technique orientale sans un événement marquant dans la vie de ce réflexologue. Shibata Sensei se soignait lui-même du diabète et des allergies avec succès. Précédé par sa renommée et la résolution de ses maux, Hiro Ito, l’empereur, le convoque à la cour impériale pour traiter également son diabète. Il s’agissait non seulement d’une grande responsabilité, mais aussi d’une question de vie ou de mort, car si le résultat n’était pas positif, il devait se soumettre au rituel du harakiri, courant à l’époque.
Quel intérêt pour le praticien de Shiatsu ?
Les praticiens de Shiatsu peuvent se demander si l’apprentissage de la Réflexologie plantaire est vraiment nécessaire : le Shiatsu ne se suffirait-il pas à lui-même ?
Bien sûr, le Shiatsu est une thérapie complète, mais il est toujours intéressant d’ajouter « une corde de plus à son arc », surtout quand la synergie entre Shiatsu et Réflexologie est, selon moi, si évidente.
Tout d’abord, le praticien de Shiatsu maîtrise déjà le mouvement de son propre corps dans le traitement ainsi qu’une gestuelle parfaitement adaptée à la pratique de la Réflexologie. Il y a peu de techniques que nous ne dominons pas déjà. En second lieu, nous pratiquons déjà l’art du diagnostic par l’observation et la palpation, par exemple la lecture des zones du visage (utilisée, entre autres, dans le Ko Bi Do), la lecture du dos et du Hara (tant celle de Masunaga que celles d’autres écoles de Kampo japonais ou encore le célèbre Ampuku)… Bref, la compréhension du macrocosme dans le microcosme (et vice versa).
Enfin, dans nos traitements, nous travaillons déjà sur les pieds, les méridiens et les Tsubo. Ainsi, nous sommes déjà préparés à intégrer une nouvelle approche dans nos soins.
Bien sûr, il nous faudra apprendre les zones de diagnostic, affiner et coordonner le travail de nos mains, apprendre les bonnes prises et le bon positionnement, et apprendre quelques techniques dynamiques d’étirements.
Deux possibilités s’ouvriront alors à nous : soit intégrer des moments de Réflexologie dans nos traitements Shiatsu, soit donner une séance complète de Réflexologie plantaire.
La Réflexologie plantaire proposée est de style japonais
La formation que je propose aux praticiens de Shiatsu, comme celle proposée à l’EST à l’invitation de Bernard Bouheret, est résolument d’essence japonaise.
D’abord, je propose de pratiquer la Réflexologie plantaire sur le futon (bien évidemment, le travail sur table est le bienvenu, si nécessaire). Ce travail au sol permet au praticien de rester dans le mouvement du Shiatsu. Ce mouvement, qui vient du plus profond de notre Hara, n’est pas aussi marqué ni aussi naturel quand le praticien est assis sur une chaise au pied d’une table de massage. Ainsi, la dynamique initiée du Hara, comme en Shiatsu, permet de moduler le rythme et d’affirmer la justesse du geste.
Ensuite, et c’est primordial, l’utilisation caractéristique de nos mains : la main « mère », qui soutient et écoute, se coordonne avec la main « messagère », qui interroge au travers du diagnostic du Kyo et du Jitsu pour faire le Ho-Sha : la quintessence de l’approche japonaise.
Les apports de la médecine orientale dans la Réflexologie
Dans la Réflexologie plantaire purement occidentale, l’utilisation des concepts éprouvés de la médecine orientale reste succincte et trop peu exploitée. Je propose une intégration forte de ce savoir, au même titre que les zones réflexes occidentales. Outre la théorie de base Yin-Yang et celles des substances vitales, il est nécessaire d’intégrer les méridiens (classiques et/ou les extensions de Masunaga). En effet, par exemple, l’observation d’anomalies sur le parcours des méridiens ou sur les Tsubo peut orienter le traitement.
Mais plus encore, j’aime utiliser la théorie des points distaux (les Tsubo des pieds visent le haut du corps, et plus spécifiquement la tête), mais aussi les points Yu (Shu) antiques, en tout cas les trois premiers (Jing-Ying-Shu) et tous les Tsubo connus et utiles au traitement (notamment ceux qui traitent les syndromes Bi, les céphalées et les sensations vertigineuses…).
Cas clinique : un accompagnement de fin de vie d’une patiente atteinte d’une SLA
Depuis environ six ans, j’accompagne une patiente japonaise de 60 ans, ancienne pianiste de concert, atteinte de sclérose latérale amyotrophique (SLA). Cette maladie neurodégénérative grave se traduit par une paralysie progressive des muscles impliqués dans la motricité volontaire et affecte également la phonation et la déglutition.
Pendant quelques années, toutes les semaines, je la traitais par le Shiatsu et la Réflexologie plantaire, à mon cabinet, puis au sol chez elle, et enfin sur son lit. Le diagnostic le plus chronique était un vide de plus en plus important du Yin du Rein et du Foie, sans compter sur la nécessité de calmer le Shen et de stimuler le Ki de la Rate pour renforcer l’énergie au niveau musculaire. Les deux dernières années, l’utilisation des huit Merveilleux Vaisseaux a également été prépondérante dans mon travail. Je ne détaillerai pas plus, car ce n’est pas l’objet de cette présentation et, de plus, je pense que vous savez bien faire en Shiatsu.
Ce qui a été intéressant pendant les cinq premières années de cet accompagnement, fut d’incorporer la Réflexologie plantaire pendant les séances de Shiatsu. Tout d’abord pour renforcer l’énergie vitale via un travail des zones viscérales, ensuite parce que la Réflexologie plantaire m’a permis d’ajouter des phases de travail douces sur la flexibilité articulaire au travers de stimulation des grandes zones articulaires sur les pieds. Enfin, j’ai pu également amplifier le travail d’harmonisation sur le Shen et notamment sur l’insomnie due à l’anxiété constante ressentie par la patiente (détériorée par l’accroissement du vide de Yin général).
La survie à cette maladie est en général de 3 à 4 ans après le début des premiers symptômes. L’avancée de la maladie était inexorable, mais la patiente a pu gagner deux années de plus. Depuis deux mois, elle a été admise en soins palliatifs, et je m’y rends toutes les semaines avec l’accord du personnel médical de l’institution.
Les capacités cognitives de cette patiente sont encore parfaites, mais elle est branchée de partout, ne peut plus parler et respire très difficilement. Je n’ai accès qu’à ses pieds et difficilement à ses mains. Je lui donne une séance de Réflexologie plantaire hebdomadaire de 45 minutes axée :
- Sur le soutien respiratoire à travers les aires des poumons, j’utilise également le Tai Yin au travers des Tsubo de la Rate.
- Sur le Shen, via les zones réflexes du cerveau et du cœur, et certains Tsubo du Foie et de l’Estomac.
- Des étirements qui sont ressentis dans tout le corps de la patiente.
- La stimulation des zones correspondant à la colonne vertébrale.
Ce sont des séances éprouvantes, mais je suis récompensé par un sourire et une forme de gratitude offerte du regard. C’est également une leçon de vie pour moi : être intensément présent et se concentrer sur l’essentiel.
Bibliographie :
- Mireille Meunier, Manuel approfondi de réflexologie plantaire, éd. Trédaniel
- Estivill, Emilio. Centre Qimen, la réflexologie des empereurs, éd. Sokushindo
- Maciocia, Les fondements de médecine chinoise, éd. Satas
- Maciocia, La pratique de la médecine chinoise, éd. Satas
- Faure-Alderson M. Réflexologie thérapie totale, éd. Trédaniel
- Sun Wei. Massage chinois réflexologie plantaire, éd. You Feng
- Ampuku : Abdominal Acupressure. The classics at the heart of Japanese bodywork, Philippe Vandenabeele, éd. Shinzui Bodywork International Institute, Fukuoka
- Orlando Volpe, Atlante di reflessologia plantare, éd. Red !